Introduction

L’ampleur des violences au travail en Afrique de l’Ouest s’inscrit dans un contexte où la majorité des études existantes se focalisent sur les violences domestiques. En 2019, la convention n°190 de l’OIT a été adoptée pour fournir un cadre visant à éliminer la violence et le harcèlement en milieu de travail. Les travaux menés montrent que de nombreux travailleurs sont exposés à diverses formes de harcèlement, exacerbées par les dynamiques de genre, les hiérarchies de pouvoir, et même les pratiques culturelles. Face à ce constat, l’étude s’efforce de combler le manque de données quantitatives concernant la violence et le harcèlement au travail.

Ce rapport se concentre sur la violence et le harcèlement au travail en Afrique de l’Ouest, en particulier en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Burkina Faso. Ce phénomène, bien que souvent ignoré, a des répercussions graves sur la santé physique et mentale des travailleurs et entraîne des pertes de productivité. L’objectif principal de cette étude sur les « Défis du marché du travail en Afrique de l’Ouest : Quels impacts de la violence et du harcèlement ? », commanditée par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), est de quantifier et de comprendre l’ampleur de la violence et du harcèlement en lien avec le travail pour soutenir le dialogue social et l’élaboration de politiques visant à les prévenir. Cette étude met en lumière la prévalence élevée des violences et harcèlements psychologiques, physiques et sexuelles en milieu professionnel et les impacts socio-économiques considérables qui en découlent.

Méthodologie de l’enquête

L’étude repose sur une approche mixte (quantitative et qualitative) avec des questionnaires standards adaptés aux trois pays étudiés. Elle vise les hommes et les femmes âgés de 18 ans et plus, en emploi ou ayant une expérience professionnelle passée. Un échantillonnage stratifié (urbain et rural) a été réalisé pour atteindre un total de 6022 ménages et 5624 individus dans les trois pays (soit un taux de couverture respectif de 87,17% et 81,41%). Le questionnaire individuel « Bien-être et la Sécurité des Travailleurs » développé par le BIT a permis d’identifier les trois formes de violence et harcèlements liés au travail (psychologique, physique et sexuelle) et leurs impacts sur la santé et le bien-être des travailleurs. Des considérations éthiques et de sécurité stricte ont été appliquées pour garantir la confidentialité des participants, ainsi leur consentement éclairé.

Prévalence de la violence et du harcèlement liés au travail

La violence et le harcèlement liés au travail touchent une proportion significative de travailleurs en Afrique de l’Ouest, avec des variations selon les pays. L’étude révèle que 65% des travailleurs au Sénégal, 58% en Côte d’Ivoire, et 42% au Burkina Faso ont subi une forme de violence liée au travail au moins une fois dans leur vie. La violence et le harcèlement est plus fréquente en milieu urbain qu’en milieu rural, et le harcèlement psychologique se révèle être le type de violence et harcèlement le plus répandu dans les trois pays. Au cours des 12 derniers mois, un peu plus de 35% des travailleurs ont été confrontés à des violences au travail dans les trois pays.

 

Profil des victimes et des auteurs

Les victimes de violence psychologique sont souvent des hommes travaillant dans des secteurs marchands ou administratifs, tandis que les victimes de harcèlement sexuel sont principalement des jeunes femmes (âgées entre 18 et 34 ans), et moins instruites. Les auteurs des violences psychologiques et physiques sont majoritairement des clients, suivis des collègues et des supérieurs hiérarchiques, souvent masculins.

Lieux et circonstances des incidents

La plupart des actes de violence se déroulent sur le lieu de travail, parfois exacerbés par la pression professionnelle ou par des relations de pouvoir. Le harcèlement sexuel, en particulier, tend à se manifester via des outils de communication comme le téléphone ou les messageries électroniques, permettant aux auteurs d’agir à distance. La violence et le harcèlement psychologiques sont aussi fréquents dans les interactions avec des clients ou des patients difficiles.

Impacts de la violence et du harcèlement liés au travail

Les conséquences de la violence au travail sont importantes sur la santé physique et mentale des victimes. Le stress, la dépression et l’anxiété sont des effets communs, souvent aggravés par un manque de soutien. L’absentéisme, la perte de motivation et la baisse de la productivité sont également notables, notamment en milieu rural, où les répercussions des violences sont plus sévères.

Signalement des cas de violence et harcèlement liés au travail

L’étude indique qu’environ 40% de cas de violence au travail ne sont pas signalés. Les victimes, en majorité, hésitent à dénoncer ces actes, souvent par peur des représailles, par honte ou en raison de la perception que ces incidents ne sont pas assez graves pour justifier une plainte. Lorsqu’ils sont signalés, les cas de violence sont majoritairement rapportés de manière informelle aux proches des victimes (famille, collègues), plutôt qu’auprès de structures de soutien officielles. Cependant, ceux qui ont accédé à ces services se disent globalement satisfaits de l’aide reçue.

Les résultats de l’étude qualitative en Côte d’Ivoire corroborent ce constat. Des cinq cas qui ont été présentés, seulement une seule victime a signalé la situation auprès d’une institution formelle, mais sans obtenir un suivi véritable de la part des responsables. Sinon, les autres victimes sélectionnées ont plutôt fait le choix du silence pour préserver leur emploi et attendre de meilleures opportunités pour quitter le cadre de travail qui les expose à des violences et harcèlements.

Défis, leçons apprises et recommandations

L’enquête a rencontré des défis méthodologiques, notamment liés à la sensibilité du sujet et à la collecte de données dans des contextes divers. Les leçons apprises portent sur l’importance de former les enquêteurs aux aspects éthiques et sur la nécessité d’améliorer les méthodes de collecte de données pour mieux refléter les réalités locales. Parmi les recommandations, le rapport souligne l’urgence de sensibiliser les employeurs et les employés aux risques de la violence au travail, de promouvoir des politiques de tolérance zéro, et d’étendre les services de soutien, surtout dans les zones rurales.

Conclusion

En conclusion, l’étude montre que la violence et le harcèlement au travail sont répandus en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Burkina Faso, touchant davantage les zones urbaines. Les violences et harcèlements psychologiques et physiques au travail affectent surtout les hommes, tandis que les jeunes femmes peu instruites sont les principales victimes de harcèlement sexuel, révélant des dynamiques de genre et de pouvoir. Les auteurs sont principalement des hommes, souvent des clients.

La majorité des violences et harcèlements en milieu de travail se déroule sur le lieu de travail, bien que le harcèlement sexuel soit souvent perpétré via des outils technologiques. Une grande part des incidents reste non signalée, les victimes se tournant vers des soutiens informels par crainte de stigmatisation ou en percevant ces actes comme anodins. Ces violences et harcèlements ont des répercussions sérieuses sur la santé mentale et physique des victimes, surtout en milieu rural, soulignant l’importance d’interventions ciblées et de services de soutien adaptés au contexte.

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Equipe interne

Dr. Hugues KOUADIO
Dr. Hugues KOUADIODirecteur Général de l'ENSEA & Coordinateur du Projet
Dr. Lewis Landry GAKPA
Dr. Lewis Landry GAKPACoordinateur Adjoint du Projet